OÙ L'ON VOIT LES PÉRILS QU'IL Y A DE SERVIR DE TRADUCTEUR QUAND ON Y EST MAL PRÉPARÉ. SOUVENIRS D'UN INTERPRÈTE IMPROVISÉ...

Voyage en Italie (1954)
Souvenirs d'un interprète.


Je viens de relire le bulletin de l'amicale numéro 14 daté du mois d'octobre 1954.
André Parisis y fait le récit du voyage de fin d'étude de promotion 50–54 et 52-54 (FP2)
En 60 ans, bien des détails se sont estompés mais quand l'auteur écrit : «… profitons de la circonstance pour remercier notre interprète qui nous fut d'un grand secours » des souvenirs précis ressurgissent car l'interprète, c'était moi !
Je désire conter ici quelques anecdotes et expliquer comment un élève maître qui, à la mi-juin, ne connaît pas d'autres mots italiens que macaroni ou spaghetti…, se voit, quelques semaines plus tard, désigné comme interprète pour le groupe en Italie.
Aux environs de la mi-juin, les deux promotions rassemblées dans l'amphithéâtre avaient écouté, en silence, les résultats du CFEN et le classement final lus par notre directeur, Monsieur Hickel, que nous appelions « pépère » entre nous. Une partie seulement des élèves devait se retrouver à la mi-juillet pour le départ en voyage. Entre ces deux dates, je m'étais astreint à trois heures d'italien par jour à l'aide d'une méthode qui n'était pas Assimil. C'était un gros volume à couverture grise. J'avais engrangé un grand nombre de mots, d'expressions, de phrases adaptées à certaines circonstances ou situations.
Cela devait me permettre, dans mon idée, de me débrouiller pour des achats mais pas de tenir une conversation.
De retour à l'E.N. pour le départ, je m'adressai à mes camarades en italien je voulus faire le malin. J'allais le regretter.

Nous nous installons dans l'autocar. À l'avant, se trouvent Monsieur Hickel  et Madame, Monsieur Viseux, intendant, sa femme et sa fille. Notre directeur annonce qu'il a entendu à la radio un événement heureux concernant la guerre d'Indochine. J'ai oublié quoi exactement, probablement la signature prochaine d'accords.
On se réjouit. Puis, tout de go, Monsieur Hickel déclare : « voyez comme nous remplissons le car à fond ! » Surprise. Il ne nous avait pas habitués aux calembours lors des cours de législation et morale professionnelle. Quelqu'un, derrière, se croit obligé d'ajouter : « oui, mais si le car pète ? »
Monsieur Hickel ne relève pas cet à peu près et demande : « Y a-t-il quelqu'un qui parle italien ? »
Oui, disent deux camarades qui me désignent et me nomment. J'ai beau me récrier et faire des signes de dénégation, rien à faire : « et bien vous serez notre interprète officiel »…

Première épreuve quand nous arrivons à Milan, en fin d'après-midi, sous un soleil cuisant. Personne ne sait où se trouve notre gîte. Avisant un agent de police, tout de blanc vêtu, qui se trouve un peu plus loin au carrefour, pépère m'enjoint d'aller me renseigner. J'ai l'adresse à la main. Je m'explique, l'agent semble me comprendre mais le contraire n'est pas vrai : des phrases prononcées rapidement, beaucoup de gestes. Je crois saisir la direction à prendre, je regagne le car. Dès que l'on veut s'engager dans la direction indiquée, coups de sifflet et grands gestes. Il faut stopper et le chauffeur s'inquiète. Je redescends, l'agent n'avait pas vu - et je ne lui avais pas dit-  que j'étais en autocar.
Croyant sans doute à un incident, plusieurs piétons se sont groupés et discutent avec le policier. Suspense ! L'un d'entre eux me fait comprendre que les rues sont trop étroites pour un autocar, qu'il va nous accompagner et indiquer un chemin possible. Ouf ! Tout en roulant, j'apprends qu'il est boxeur et qu'il a un combat le soir même. Je le remercie et lui souhaite bonne chance.
Deuxième épreuve dans une autre ville, j'ai oublié laquelle. Nous allons loger dans un collège d'apparence religieuse. Monsieur HickelViseux, moi et mon petit dictionnaire allons rencontrer le responsable. Tout se passe bien. Au moment où le directeur du collège nous raccompagne, il pose soudain une question : « Avete lenzuoli ? » Monsieur Viseux me demande ce qu'il dit. Je reste coi car je réfléchis . Ce mot, je l'ai vu mais où, à propos de quoi ? Bon sang, mais c'est bien sûr, « lenzuoli » à rapprocher de linceul, ce sont les draps de lit. Sauvé ! Oui, chacun a des draps dans son bagage, ceux de l'E.N. peut-être.

La dernière épreuve dont j'ai le souvenir est plutôt cocasse. 
À Côme, nous logeons dans une auberge de jeunesse. On s'installe. Il manque des places. Nous voilà repartis à la recherche du père  aubergiste. Pour comprendre, il faut savoir que deux en italien s'écrit "due" mais se prononce "doué". Il manque justement deux lits. Le père aubergiste veut une confirmation : "quanti, due» ? (Combien, deux  ?) Je confirme "Si, due" (Oui, deux). C'est alors que Monsieur Hickel croyant probablement me venir en aide s'écrie : « oui, oui, Douai, École Normale de Douai !". Je suis mort de rire intérieurement mais je ne dis rien, je raconterai plus tard aux autres ce quiproquo.
Le voyage se poursuit par l'Autriche et l'Allemagne. Je me garde bien de dire que j'ai fait deux ans d'allemand. J'ai oublié également si Robert Delporte que nous appelions tantôt Sigmund, tantôt Siegfried, était du voyage. C'était le seul germaniste de la « A » et peut-être de la promotion. Je pense que pépère  pratiquait bien la langue de Goethe. C'était il y a 60 ans, c'était hier ! Aujourd'hui je pense souvent à mes camarades disparus. Je salue amicalement tous ceux qui, comme moi ont la chance d'être encore de ce monde et qui auront l'occasion de me lire.
Été 1954. Voyage de fin d'études. Devant le lac de Côme (Italie).
De G. à D. : Jack Guillemin, Roger Elleboode (✞), Lucien Delille, Jacques Deraime 
(✞)
Octobre 2014

Jack Guillemin (promotion 50 54)

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